Complainte du temps et de l'espace Je tends mes poignets universels dont aucun n'est le droit ou le gauche, et l'espace, dans un va-et-vient giratoire, y détrame les toiles d'azur pleines de cocons à foetus d'étoiles. Et nous nous blasons tant, je ne sais où, les deux indissolubles nuits aux orgues vaniteux de nos pores à soleils, où toute cellule chante : moi ! Moi ! Puis s'éparpille, ridicule ! Elle est l'infini sans fin, je deviens le temps infaillible. C'est pourquoi nous nous perdons tant. Où sommes-nous ? Pourquoi ? Pour que Dieu s'accomplisse ? Mais l'éternité n' y a pas suffi ! Calice inconscient, où tout coeur crevé se résout, extrais-nous donc alors de ce néant trop tout ! Que tu fisses de nous seulement une flamme, un vrai sanglot mortel, la moindre goutte d'âme ! Mais nous bâillons de toute la force de nos touts, sûrs de la surdité des humains échos. Que ne suis-je indivisible ! Et toi, douce espace, où sont les steppes de tes seins, que j'y rêvasse ? Quand t' ai-je fécondée à jamais ? Oh ! Ce dut être un spasme intéressant ! Mais quel fut mon but ? Je t'ai, tu m'as. Mais où ? Partout, toujours. Extase sur laquelle, quand on est le temps, on se blase. Or, voilà des spleens infinis que je suis en voyage vers ta bouche, et pas plus à présent que toujours, je ne sens la fleur triomphatrice qui flotte, m'as-tu dit, au seuil de ta matrice. Abstraites amours ! Quel infini mitoyen tourne entre nos deux touts ? Sommes-nous deux ? Ou bien (tais-toi si tu ne peux me prouver à outrance, illico, le fondement de la connaissance, et, par ce chant : pensée, objet, identité ! Souffler le doute, songe d'un siècle d'été) suis-je à jamais un solitaire Hermaphrodite, comme le ver solitaire, л ma sulamite ? Ma complainte n' a pas eu de commencement, que je sache, et n' aura nulle fin ; autrement, je serais l'anachronisme absolu. Pullule donc, azur possédé du mètre et du pendule ! л source du possible, alimente à jamais des pollens des soleils d'exil, et de l'engrais des chaotiques hécatombes, l'automate universel où pas une loi ne se hâte. Nuls à tout, sauf aux rares mystiques éclairs des élus, nous restons les deux miroirs d'éther réfléchissant, jusqu'à la mort de ces mystères, leurs nuits que l' amour jonche de fleurs éphémères. Jules Laforgues, 1885, tiré de Les complaintes (1922), pages 177-179 Здесь: http://pages.infinit.net/noxoculi/laforgue.html
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